« Les crises financières nous confrontent à l’énigmatique paradoxe d’emballements spéculatifs toujours recommencés et pourtant jamais anticipés. En effet, lorsque domine l’euphorie financière, l’idée que la croissance des prix ne saurait être infinie et qu’un retournement à la baisse ne peut manquer d’advenir ne semble qu’une hypothèse lointaine, négligeable, sans force, c’est-à-dire impuissante à provoquer les réactions nécessaires qui permettraient d’éviter le krach. Aussi, à chaque fois, est-ce avec la même surprise que le surgissement de la crise est accueilli. C’est ce qu’on a appelé ‘‘l’aveuglement au désastre’’. La riche histoire des crises financières permet d’en analyser avec précision la logique. Notre thèse est que cet aveuglement est étroitement lié à un autre aveuglement, celui-là bien moins connu, à savoir le fait qu’une fois la crise survenue, elle apparaît aux yeux de la majorité des participants comme ayant toujours du être. C’est cette double cécité qu’il s’agit d’analyser. Si les crises financières nous en fournissent de nombreuses illustrations, et, au premier chef, la crise des subprimes, il s’agit cependant d’un phénomène tout à fait général, caractéristique de la manière dont les sociétés forment leurs croyances. »
par andré Orléan