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Une révolution dans l’assurance : l’exploitation des « data »

Publié en novembre 2011
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

Tout ce qui constitue une information élémentaire est une donnée (data en anglais). Mais l’utilisation du terme en français renvoie tout particulièrement aux informations élémentaires recueillies en très grand nombre à l’occasion d’opérations banales effectuées par les citoyens et collectées, transférées et centralisées grâce aux TIC.

Les consultations de sites internet, les achats payés par carte bancaire, les utilisations d’un téléphone portable, le télépéage sur l’autoroute et de multiples autres opérations sont ainsi à l’origine de data. Techniquement cette masse fantastique d’informations personnelles, souvent peu porteuses de sens individuellement, peuvent faire l’objet de calculs statistiques qui vont révéler, à son insu, beaucoup de choses sur chaque personne. Son comportement peut être reconstitué, et à partir de là sa psychologie, ses intérêts intellectuels, ses goûts, ses moyens financiers et la manière dont elle les emploie, ses relations sociales, ses déplacements, etc.

Tout commerçant accédant ainsi à l’intimité du consommateur est à même de devancer ses désirs. Un assureur peut trouver des corrélations entre certains des éléments évoqués et le degré de risque présenté par un assuré. Ainsi, tel type d’intérêt intellectuel, la pratique de tel ou tel jeu, le temps passé sur un stade ou devant la télévision peuvent être révélateurs de personnalités craintives ou « risque-tout » en regard desquelles l’assureur doit avoir des attitudes différentes.

L’assurance a précédé, et de loin, les statistiques. On a identifié des opérations assimilables à de l’assurance à Babylone. D’autres, nettement plus proches de notre conception, sont apparues en Italie dès le Moyen Âge, alors que les bases du calcul des probabilités ont commencé à être posées seulement à partir du XVIe siècle avec Girolamo Gardano. La première approche de l’assurance a donc été intuitive et au cas par cas plutôt que statistique. Le prêt à la grosse aventure était consenti sur le sentiment de la dangerosité d’une expédition, la confiance dans un capitaine de navire et d’autres données « ressenties » mais non chiffrées.

La mutualisation est plutôt apparue dans les associations d’entraide et les mutuelles qui n’avaient pas une approche statistique, mais s’adressaient spontanément et naturellement à un univers homogène, celui des travailleurs d’un site minier par exemple.

L’assurance moderne, à la croisée de ces deux approches, a utilisé l’intuition pour reconstituer des ensembles homogènes plus vastes. C’est ainsi une évidence intuitive que le risque automobile est différent du risque incendie des habitations. Mais ce ne sont que quelques données de caractère juridique qui ont permis, à l’intérieur de grandes catégories telles que celle des propriétaires de véhicules, de déterminer des sous-ensembles distincts du point de vue du risque, à raison par exemple de la puissance du véhicule, de l’expérience du conducteur, ou de l’historique de sa sinistralité. La multiplication des données va permettre d’affiner cette classification au point de changer le concept même de mutualisation.

Alors que l’approche traditionnelle consistait à classer les risques en populations homogènes au sein desquelles s’opérait la mutualisation, l’approche nouvelle permise par l’abondance des données pourrait conduire à la situation inverse : tout risque et toute garantie deviendraient uniques et spécifiques. Certains en concluent à la fin de l’assurance, puisque la connaissance exacte d’un risque aboutirait à en facturer le prix exact et exclurait la mutualisation. Ce n’est pas exact : le prix du risque n’est jamais le coût de sa réalisation, mais son espérance mathématique, les deux n’étant égaux qu’en cas de certitude de réalisation du risque. Les réassureurs acceptent couramment de garantir les conséquences d’un événement climatique dans une région alors que ce risque est le seul de sa catégorie, dès lors qu’ils peuvent lui associer une probabilité – un risque centenaire par exemple. Ils n’acceptent que des risques limités à ce qu’ils peuvent supporter et espèrent compenser sa réalisation, non par une mutualisation, mais en multipliant les paris sur des événements indépendants les uns des autres.

Il est exact en revanche que la tendance à appréhender chaque risque dans sa spécificité s’oppose à la « solidarité » qu’on évoque parfois, consistant, à l’abri de l’ignorance, à assimiler certains risques à d’autres très différents en ce qui concerne leur probabilité ou leur coût.

Au-delà encore, l’assurance, qui est réglementairement pratiquée dans un cadre annuel, pourrait se faire en temps réel : le coût d’une garantie automobile pourrait être ajusté automatiquement selon que le véhicule est au garage, roule sur une autoroute ou en ville, en circulation fluide ou encombrée. De la même manière, même si la CNIL s’est opposée pour l’instant à ce développement, serait-il possible de mettre en place un « Pay as you drive » : le conducteur paye en fonction de sa vitesse, de la brutalité de ses accélérations ou de ses freinages, de la manière dont il respecte ou non diverses consignes de sécurité, etc.

Un assureur pourra aussi découvrir en étudiant les data captées au fil de leurs actes que certaines personnes ont subi ou craint des dommages qu’il n’a pas eu à connaître directement parce qu’ils ne faisaient pas l’objet de garantie, ce qui peut l’amener à créer des garanties nouvelles. Sur le plan commercial, ces données peuvent permettre de connaître la réceptivité d’un prospect aux divers canaux de distribution, selon les circonstances : en fonction du jour, de l’heure et de la nature de sa préoccupation, celui-ci peut préférer acheter en ligne ou parler à un conseiller, être disponible à un moment et rejeter violemment une approche qu’il va considérer comme importune à un autre. La connaissance des habitudes et des goûts du client potentiel permettra aussi de lui adresser des offres correspondant à des besoins potentiels au moment et par le média les mieux adaptés, en réduisant en conséquence substantiellement le coût de distribution. La plupart des techniques publicitaires telles que la télévision grand public ou les courriels de masse apparaîtront à ce moment inutilement coûteux voire nuisibles en matière d’image.

L’exploitation de ces données peut aussi permettre de devenir proactif : un assureur qui apprend qu’un client consulte, via Internet, des annonces immobilières de villas à vendre dans le Midi peut ainsi intervenir en amont et éviter de découvrir après coup que son client a déménagé et s’est assuré localement auprès d’un autre assureur.

Plus importante cependant est la possibilité de transformer une relation discontinue en relation continue. Traditionnellement, le meilleur client de l’assureur est celui dont il n’entend jamais parler et réciproquement, sauf tendance marketing récente à lui adresser des propositions plus ou moins aléatoires pour lui rappeler l’existence de l’assureur.

Le recul des religions a laissé vacante la place d’ange gardien. Les assureurs peuvent légitimement y prétendre.

On peut imaginer donner diverses formes à cette protection continue. Par exemple, émettre en temps réel au moment du paiement – à des prix reflétant exactement le risque – des garanties liées l’utilisation d’un transport. Ou encore, envoyer des SMS de prévention quand une tempête se prépare ou que le client s’engage dans une action à risque appelant des mesures de prévention ou de protection. Une startup du MIT a mis au point un logiciel qui analyse la fréquence des appels téléphoniques à partir d’un portable et en déduit un diagnostic de stress dont il avertit le propriétaire du téléphone.

Sur un autre plan, les TIC et les data vont permettre de transformer l’assuré de sujet en acteur de sa sécurité. On voit, en matière de santé, que les malades consultent les sites internet et les forums spécialisés avant d’aller voir leur médecin : le net reconstitue des « villages » dans lesquels les gens échangent. Les internautes peuvent se mettre d’accord pour organiser une action en commun. Ce peut être une manifestation politique, un apéro géant ou, pourquoi pas, demander un contrat d’assurance adapté à leurs préoccupations. On peut ainsi imaginer que les victimes potentielles de la loi Hadopi se regroupent pour souscrire un contrat de protection juridique.

Enfin, les TIC sont à l’origine d’un phénomène intéressant susceptible de retombées considérables. D’une manière générale, la population la moins favorisée sur le plan économique tend à imiter le profil de consommation des plus favorisés, qui sont des leaders d’opinion. Cette constatation fonde les politiques de relance keynésiennes : si on augmente le pouvoir d’achat des moins favorisés, on sait qu’ils vont en faire usage sur les produits existants. Inversement, les plus favorisés ont des besoins saturés. Il ne servirait à rien d’augmenter leur revenu pour qu’ils consomment plus. Il faut leur présenter de nouveaux produits, ce qui justifie les politiques de l’offre.

Il y a quelques exceptions : les produits électroniques nouveaux intéressent les jeunes qui ont peu d’argent, mais préfèrent le consacrer à des produits sophistiqués qui les intéressent de préférence aux consommations de base. Les TIC généralisent cette exception au point d’inverser parfois la règle : moins le revenu est important, plus la consommation de nouveaux services augmente, en tout cas pour la population jeune, et donc pour tout le monde dans une perspective à moyen terme.

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