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L’intelligence artificielle

Publié en janvier 2022
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

L’intelligence artificielle n’existe pas affirme Luc Julia dans son livre éponyme. Ce responsable du laboratoire d’intelligence artificielle de Samsung est un des meilleurs spécialistes de la question. Sa position semble opposée à celle de la plupart des dirigeants des GAFAM qui ne jurent que par l’intelligence artificielle.

Comme bien souvent le débat repose sur l’imprécision des mots. L’intelligence est une faculté qui comporte plusieurs dimensions tellement imbriquées qu’il n’a pas été nécessaire de les distinguer jusqu’à aujourd’hui. Globalement, c’est la faculté d’analyser l’environnement et d’apporter une réponse adaptée à chacun des états qu’il peut prendre. On parle même dans ce sens d’intelligence des plantes qui peuvent produire certaines substances en réponse à l’agression de ravageurs. Ces réponses sont programmées. C’est une forme d’intelligence sans créativité. C’est celle des ordinateurs classiques, capable de performances fantastiques en matière de calcul et de mémorisation, mais qui ne font qu’appliquer mécaniquement, c’est-à-dire bêtement, des programmes écrits par des humains.

Cette capacité a parfois été qualifiée d’intelligence artificielle par comparaison à l’intelligence des hommes qu’elle challenge, mais elle est de nature différente.

La victoire d’un ordinateur sur le champion d’échecs Garry Kasparov permet de comprendre la différence. Être un des meilleurs joueurs d’échecs au monde suppose une intelligence de très haut niveau. Puisque l’ordinateur a pu le battre, la conclusion a été tirée, à tort, qu’il disposait de la même intelligence à un niveau encore supérieur.

En fait l’ordinateur, ayant enregistré toutes les positions possibles du damier, a pu déterminer facilement la meilleure riposte possible, à chaque coup de l’adversaire. Dans la vie courante, beaucoup d’opérations faites par les hommes consistent également à rechercher dans leur mémoire la règle ou le modèle à appliquer à une situation. Mais dans le cas des échecs, l’intelligence humaine ne peut faire ainsi car il lui est impossible d’enregistrer toutes les positions de damier possibles. Il lui faut avoir recours à des raccourcis, faire preuve d’intuition, prendre des paris. C’est cette composante de l’intelligence humaine, au demeurant difficile à analyser et donc à reproduire, qui manque à la machine.

L’intelligence artificielle prétend contourner cet obstacle en s’auto programmant, répliquant en quelque sorte le processus d’apprentissage des enfants. Dès sa naissance, l’enfant est placé dans un environnement qui présente un flot continu d’information à ses sens. Leur fréquence relative et leurs différences lui permettent progressivement de les reconnaître, de les classer, de les mémoriser puis de les structurer et d’en tirer des lois. Ainsi par exemple,  il repère rapidement que le fait de pleurer attire l’attention et provoque l’arrivée de la nourriture.

L’éducation va faciliter ce travail en permettant d’intégrer rapidement et aisément des connaissances qu’il a fallu un temps parfois long et un travail collectif pour établir.

L’intelligence artificielle qui a battu les plus grands champions de Go au monde n’a pas été programmée, au contraire de Deep Blue, pour comparer chaque état du damier à l’ensemble des états possibles, en vue de choisir chaque fois le plus efficace, mais disposait simplement des règles du jeu… et d’une instruction : « joue et gagne ». L’ordinateur a avancé au hasard un pion, puis un second et ainsi de suite, constaté l’échec et recommencé inlassablement des millions de fois. Il en a tiré la conclusion que certaines positions permettaient facilement de gagner dans certaines configurations de jeu déjà expérimentées et restant dans sa mémoire. Pour cette première partie, il a donc fait de lui-même, le travail que les programmeurs avaient fait pour Deep Blue. Mais le nombre de positions de jeu au Go étant presque infini, le travail était incomplet et l’ordinateur l’a complété en développant une sorte d’intuition statistique pour ce qu’il n’avait pas expérimenté comme le fait le joueur humain.

Pour Julia, il ne s’agit pas encore de véritable intelligence. Les relations établies par un humain entre les informations externes prennent également en compte les données internes et psychologiques qui leur sont associées. La réaction n’est donc pas purement mathématique et rationnelle ou du moins sa rationalité prend en compte des facteurs non rationnels tels que la peur ou le plaisir. C’est une autre différence entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine qui ne peut fonctionner indépendamment des caractéristiques mentales et physiques de l’individu.

La machine ne prend en compte que les data, sans l’intervention d’une intériorité dont elle est dépourvue. Elle ne fait que ce qu’a voulu l’homme, même si elle le fait avec beaucoup d’autonomie. En effet ce n’est pas la machine qui a décidé proprio motu de s’intéresser au Go et ce n’est pas elle qui a défini les règles du jeu. Elle existe dans l’indifférence, l’absence de conscience de soi, de finalité propre, de plaisir de jouer et de gagner et donc de volonté d’exister.

L’intelligence artificielle a besoin d’un hardware qu’elle est incapable de fabriquer et d’énergie qu’elle ne saurait produire. L’intelligence de l’homme ne peut pas davantage fonctionner sans un hardware mais il en a hérité au terme d’une longue évolution et corps et intelligence forment un seul organisme.

L’intelligence artificielle n’existe pas et ne pourra pas exister tant qu’elle ne sera pas dotée de conscience de soi, de volonté de vivre, de se développer et de perdurer pour éprouver du plaisir ou éviter la douleur. Peut-être son concepteur pourra-t-il l’en, doter un jour ?

En attendant, elle va se développer sous la conduite de l’homme, du moins de certains d’entre eux et là est le principal risque.

On sait cependant que depuis la création sur terre de la première molécule organique il y a quatre milliards d’années, le vivant n’a cessé de progresser vers plus de complexité et d’intelligence et on peut imaginer qu’un mouvement qui dure depuis si longtemps va se poursuivre. On peut dès lors se demander si l’intelligence artificielle, associée à l’homme, ne constitue pas une nouvelle étape dans cette longue marche qui pourrait donner naissance à de nouvelles formes de vie encore inconnues, une symbiose dont le transhumanisme est l’intuition grossière.

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