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Le travail

Publié en décembre 2021
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

Les entreprises ont de plus en plus de difficultés à recruter. La situation pour certains secteurs comme la restauration est critique.

Par ailleurs, pour les effectifs en place, les employeurs se plaignent souvent de leur manque d’investissement dans leur tâche.

Ne pas trouver de candidat dans un pays qui compte 2,4 millions de personnes au chômage peut paraître paradoxal. Pour une partie, le peu d’intérêt pour leur activité éclaire un peu cette situation.

Dans les temps archaïques, nos lointains ancêtres s’activaient pour la seule satisfaction de leurs besoins et de ceux de leurs proches. Ils y consacreraient probablement, avant la maîtrise du feu, autant que le font  encore les grands primates, 8 à 10 heures par jour, sans jour férié ni RTT.

Une spécialisation et une hiérarchisation des rôles se sont développées avec l’organisation des sociétés complexes. Certains ont pu s’affranchir des tâches les plus ingrates et les imposer à d’autres de manière plus ou moins contraignante, pouvant aller jusqu’à l’esclavage. Les privilégiés échappaient aux tâches les moins attractives et s’en faisaient parfois une règle à laquelle il ne fallait pas déroger.

Les personnes qui peuvent ne pas travailler ne sont habituellement pas inactives pour autant. Elles cherchent diverses satisfactions, le plus souvent non économiques, pour éviter l’ennui. Elles se livrent ainsi à des activités politiques ou culturelles, ludiques ou sportives, caritatives ou pratiques telles que le jardinage ou le bricolage. Comme le travail, ces activités peuvent exiger des efforts, présenter des difficultés ou des risques et produire de la fatigue, mais elles sont choisies et non imposées.

La propension au moindre effort a été un des moteurs du progrès technique et le temps disponible gagné un facteur de développement culturel.

Avec la révolution industrielle et l’automatisation, nombre de tâches ont évolué, certaines présentent un intérêt du fait de leur but, de leur technicité ou de l’environnement humain dans lequel elles se pratiquent. Nombre d’activités effectuées autrefois par choix requièrent aujourd’hui des moyens humains qui dépassent l’offre de travail volontaire et doivent désormais être rémunérées.

La convergence des deux tendances a donné naissance à des classes moyennes et supérieures employées à des tâches relativement attractives et néanmoins rémunérées.

Elles ne satisfont pas tout le monde pour autant car il y aura toujours un décalage structurel entre les emplois qui peuvent paraître attractifs et ceux qui sont nécessaires à la société, même si la diversité des aspirations humaines fait que ce qui n’est pas attractif pour certains peut l’être pour d’autres. Par ailleurs, la propension naturelle à se défausser des tâches les plus ingrates sur d’autres a une limite parce que le nombre de privilégiés augmente avec l’élévation générale du niveau de vie, alors que se réduit corrélativement le nombre de ceux qui pourraient être contraints de les accepter.

Dans le monde moderne, la seule contrainte large pour imposer le travail est d’ordre économique mais il existe aujourd’hui des revenus de transfert au profit de ceux qui ne travaillent pas, ce qui a un double effet décourageant. Les transferts sociaux en faveur des chômeurs font apparaitre comme rémunération réelle du travail, non le salaire attaché à celui-ci, mais la seule différence entre ce dernier et les transferts sociaux ; compte tenu des dépenses supplémentaires induites par le travail (transport, vêtements, garde d’enfants…) et des avantages de l’oisiveté. Cette rémunération de l’activité, malgré le RSA, apparaît souvent dérisoire et la décision de travailler comme irrationnelle.

A cette considération économique s’ajoute un effet psychologique : une rémunération trop faible envoie à son bénéficiaire le message de la faible valeur de son travail, donc de lui-même.

Le travail est devenu le principal facteur d’intégration et de positionnement social. Malheureusement, aux grandes communautés d’hier, telles que celles des mines ou des chemins de fer dont les membres étaient fiers de faire partie, ont succédé des emplois provisoires dans des lieux variables souvent éloignés des habitations ce qui fait obstacle à la création de liens sociaux stables.

Le débat sur l’immigration et le travail déplacé mettent rarement en exergue que des centaines de milliers d’emplois sont acceptés par des étrangers soumis à des contraintes économiques supérieures à celles des nationaux. A défaut, le recrutement dans nombre de professions serait pratiquement impossible.

Remédier à tous ces problèmes n’est pas facile.

La priorité est l’amélioration relative de certaines rémunérations par rapport aux revenus sociaux. Bizarrement en effet, les métiers les moins attractifs sont souvent les moins rémunérés, malgré leur incontestable utilité. Il est possible que l’exigence de rémunération supérieure réduise le marché de certains produits et services. Cela a toujours existé et le marché trouvera d’autres voies pour satisfaire les mêmes besoins.

C’est ensuite la formation qui est la condition d’accès aux rémunérations supérieures et aux emplois les plus gratifiants. Le problème ne peut être résolu uniquement par l’école dans la mesure où l’évolution des métiers impose de fréquentes réorientations sur une carrière de plus de 40 ans. Par ailleurs, si la formation est un élément de solution pour l’individu, elle ne fait pas disparaître les tâches peu attractives mais néanmoins nécessaires à la collectivité.

La réduction de leur nombre doit être recherchée tout d’abord dans l‘automatisation. Même si les personnes les plus modestes craignent qu’elle signifie du chômage pour elles, elle doit être poursuivie car elle est la source d’une amélioration générale du niveau de vie et augmente fortement l’attrait des emplois qui subsistent.

Il faut tendre à répartir les tâches les moins attractives de manière plus large. L’économie y pousse dans certains cas. Ainsi le consommateur doit désormais participer au service qu’on lui rend, qu’il s’agisse de prendre de l’essence pour sa voiture ou de monter lui-même un meuble dont on ne lui fournit que les éléments.

Le travail à temps partiel durant la retraite devrait être encouragé, non seulement pour son intérêt financier, mais aussi en tant que facteur d’insertion sociale des intéressés et ressource pour la société. Il peut même avoir des retombées positives en matière de santé publique.

Le temps de travail doit encore être réduit. Les progrès réalisés dans ce sens depuis un siècle et demi ont toujours été vus sous l’angle de la présence sur le lieu de travail, jamais sous l’angle de l’absence du domicile. Or, avec la généralisation du travail du conjoint et l’allongement de la durée du transport, la présence des parents au foyer n’a pas augmenté proportionnellement et le travail pèse de plus en plus sur la vie personnelle. Ce phénomène est particulièrement important pour les unités familiales les plus réduites, qui sont de plus en plus nombreuses, alors que les familles dépendent de plus en plus de leur environnement, ce qui exige de la disponibilité. Cette réduction du temps de travail est techniquement possible, bien qu’économiquement irréalisable tant que le pays s’expose à une concurrence sans limite avec des pays socialement trop différents.

Il faudra choisir.

Son organisation temporelle doit encore être rendue plus souple et plus variée. Des modalités telles que 4 jours de 9 heures par semaine pourraient être testées ; la rotation de plusieurs équipes permettrait un fonctionnement 7 jours sur 7 de l’appareil de production, ce qui constituerait un progrès en harmonie avec l’objectif de la transition écologique.

Redonner de l’attrait au travail passe également par une modification du regard que la société et en particulier les élites portent sur lui. L’Ancien Régime nous a légué une conception selon laquelle mieux vaut être inutile près du pouvoir que s’activer utilement loin de lui, être col blanc plutôt qu’ouvrier ou artisan.

La multi activité devrait aussi être encouragée. La variété de plusieurs emplois pratiqués dans la journée ou dans l’année peut compenser la monotonie de chacun et offrir des relations sociales plus nombreuses et plus riches.

Il faut continuer à améliorer les conditions de travail ; les progrès depuis le 19ème siècle ont été spectaculaires. Le télétravail a marqué une nouvelle étape pour nombre de salariés mais d’autres progrès sont possibles.

L’appétence au travail a longtemps été considérée comme une vertu dans les milieux populaires car elle apparaissait comme la condition d’une vie correcte des familles. La réduction du nombre d’enfants, l’autonomisation économique des conjoints et l’existence de revenus sociaux a affaibli cette conviction.

Aujourd’hui, ce sont les médias qui donnent le la et mettent en évidence les métiers que beaucoup vont vouloir pratiquer. La valorisation de l’image attachée aux activités RSE est un facteur d’attraction et inversement pour les activités stigmatisées par la presse par exemple.

Au niveau microéconomique, les agents qui veulent atteindre un objectif savent depuis longtemps qu’il faut communiquer pour faire évoluer l’opinion publique. L’exigence est la même pour atteindre des objectifs collectifs, étant observé que la propagande détachée de la réalité n’a plus d’effets ou des effets contreproductifs, qu’une mise en valeur honnête des métiers est le meilleur moyen de les faire apprécier ou d’être obligés d’en modifier les caractéristiques pour les rendre désirables ou, au moins, acceptables.

 

 

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