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Le travail de demain

Publié en juin 2020
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

La crise du coronavirus a fortement impacté le travail et le contrat de travail, ce qui devrait, comme le font souvent les crises, renforcer certaines tendances déjà à l’œuvre.

Historiquement la principale force d’évolution est la quête de productivité. Elle a précédé l’époque moderne. Au départ inspirée par ceux qui avaient la charge de travail dans le but de soulager leur peine, elle a ensuite été promue par les entreprises pour réduire leur coût de production, ceux qui effectuent le travail s’y opposant plutôt par crainte de perdre leur emploi.

Cette évolution se poursuit aujourd’hui par le transfert du travail à une nouvelle génération de dispositifs capables d’étendre le bénéfice de l’automisation à des tâches non répétitives ou non matérielles. Les techniques numériques permettent d’envisager la prise en charge d’activités aussi imprévisibles dans le détail que la conduite automatique d’un taxi ou la livraison d’un colis par drone. Les progrès de l’intelligence artificielle vont constamment élargir ce champ.

Le très faible coût du capital et, relativement, celui des dispositifs d’automatisation ne peut que renforcer l’arbitrage entre capital et travail au détriment de ce dernier.

Une autre tendance va se poursuivre : l’ubérisation, c’est-à-dire, dans le cadre d’une entreprise, l’organisation du travail autour d’un centre nerveux concevant et gérant des applicatifs et d’une masse d’exécutants opérant librement à distance et sans lien hiérarchique.

Par ailleurs, le report d’une partie du travail, non rémunéré, sur le consommateur ou l’usager va se poursuivre. Evolution paradoxale puisqu’elle s’accompagne de la volonté du marché de prendre en charge les activités les plus personnelles du consommateur, comme la préparation de ses repas, l’entretien de son domicile ou l’éducation de ses enfants. Une des motivations commune aux entreprises et aux consommateurs est la réduction des coûts, notamment en raison de la pression fiscale. Dans un pays où les prélèvements obligatoires absorbent la moitié du PIB, il faut deux fois moins de temps – sous réserve de la compétence – pour réaliser soi-même un travail, que pour gagner la somme nécessaire à sa réalisation par un tiers.

La montée en puissance du télétravail s’impose aussi comme un axe majeur de cette évolution. Ainsi Marc Zuckerberg a annoncé que Facebook (50 000 salariés) allait faire du télétravail la base de son organisation, ce qui va lui permettre de recruter dans le monde entier, sans tenir compte de la localisation. Appliquée à Uber, cela signifierait qu’une grande entreprise pourrait être constituée d’un noyau de management éclaté et d’une périphérie opérationnelle dispersée, composée d’électrons libres ayant avec lui une relation purement numérique.

Le projet de Facebook abolit les frontières et l’espace, il favorise la concurrence non plus entre les entreprises, mais directement entre les travailleurs, ce qui devrait avoir pour conséquence la concentration de la valeur ajoutée sur quelques têtes et la prolétarisation des autres.

La transition écologique devrait au contraire favoriser l’emploi local et le télétravail. Plus généralement elle devrait introduire dans le raisonnement économique, un facteur de production quelque peu oublié depuis les physiocrates, le sol, entendu cette fois comme l’ensemble des ressources non renouvelables offertes par la terre. La quantité de travail offerte dépendait jusqu’à maintenant du coût respectif du travail et du capital, entre lesquels un arbitrage était possible. Il faut désormais introduire les externalités dans l’équation, ce qui devrait provoquer des arbitrages au profit du travail.

L’influence des travailleurs eux-mêmes est difficile à déterminer. Traditionnellement hostiles aux progrès de la productivité, ils aspirent à de meilleures rémunérations et à une réduction du temps de travail qui le rendent nécessaire. Une part d’entre eux préfèrerait le télétravail, source d’économie de temps de transport et d’amélioration des conditions de vie. Ils exercent également une pression sur le législateur pour lutter contre toutes les formes de précarisation de l’emploi.

La résultante de toutes ces forces ne peut être décrite avec certitude et d’autres crises créatrices de difficultés économiques ou de pénuries pourraient la remettre en cause.

Sous cette réserve, on peut penser que les inégalités nées du travail entre détenteurs de savoirs opérationnels, en particulier dans la maîtrise des systèmes numériques, et le reste de la population, vont fortement s’accroître.

Globalement, la fraction aux talents moins rares, la moins capable ou la moins motivée sera amenée nolens volens à privilégier la qualité de vie, le temps libre, l’autoconsommation, l’économie circulaire et à défendre politiquement ces objectifs. Mais ceux-ci n’ont de chance d’être atteints qu’autant que continuera à exister une catégorie d’ilotes pas trop exigeants.

 

 

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