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Le partage de la valeur ajoutée

Publié en octobre 2017
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

 

Le discours politique continue à opposer capital et travail comme aux beaux jours du Marxisme.

Pourtant, beaucoup de choses ont changé. La conception qui oppose le capital et le travail tend à considérer qu’il s’agit des deux facteurs de production qui contribuent à la formation de la valeur ajoutée et se la partagent. L’opposition entre les deux protagonistes est présentée comme totale puisque ce qui va à l’un ne peut aller à l’autre.

En réalité, il existe d’autres facteurs de production et donc d’autres parties prenantes et, globalement, ce sont elles qui récupèrent désormais l’essentiel de la valeur ajoutée.

Il y a d’abord la puissance publique ; elle prélève en France une petite moitié de la valeur ajoutée totale.

Il y a ensuite des rentes de situation versées à ceux qui contrôlent la production de ressources non renouvelables dont le prix ne correspond que très marginalement à du travail ou à la rémunération normale d’un capital. Elles sont difficiles à calculer, mais une bonne partie des achats aux pays producteurs de pétrole et de gaz entrent dans cette catégorie ; on peut avancer le chiffre de 2 % de la valeur ajoutée.

Ensuite encore, appréhendée jusqu’ici par le coût du travail nécessaire à sa production, il y a l’information dont le rôle est devenu essentiel dans l’économie et qui permet à ceux qui la détiennent d’obtenir des revenus en rapport, non plus avec son coût de production, mais en raison de son utilité pour les entreprises. Les milliards récoltés ainsi par Google ou Facebook ne rémunèrent ni le capital engagé, ni le travail des programmeurs, mais l’utilité d’une ressource qu’on doit bien, de ce fait considérer comme un facteur de production autonome. Son calcul est difficile car il suppose des définitions rigoureuses afin d’éviter de prendre en compte les éléments déjà saisis par ailleurs, tel que le coût de la formation par la sphère publique.

Enfin, il y a l’esprit d’entreprise, plus difficile à définir que le travail ou le capital mais qui n’en existe pas moins. Sa reconnaissance traduirait une inégalité des hommes que la pensée moderne refuse d’admettre : pourtant, admettre que certains hommes disposent de caractéristiques adaptées à la création et au management d’entreprises ne signifie pas davantage que le fait de reconnaître qu’il y a des musiciens ou des sportifs d’exception, ce qui est incontestable et ne semble poser à personne le problème de l’égalité.

James Burnham avait identifié dès 1949, à travers son concept « d’organisateur » cet ingrédient nécessaire à la prospérité des entreprises et de l’économie, à défaut duquel les hommes restent au chômage et les capitaux n’ont le choix qu’entre l’oisiveté et l’usure.

On se lamente en permanence sur la disparition des grandes entreprises industrielles qui ont incarné le capitalisme industriel au 19ème siècle. L’esprit d’entreprise a été nécessaire pour créer ces entreprises, mais secondaire par rapport à la disposition du capital ; désormais disposer de capital ne les protège plus alors que les grandes entreprises et les milliardaires nouveaux se sont lancés sans capital.

Celui-ci est désormais trop abondant dans les pays développés et son utilité marginale devient faible, ce que traduit sa part dans la valeur ajoutée.

Au total, plus de 50 % de la valeur ajoutée des entreprises échappent au partage entre capital et travail. Sur le reste, deux tiers vont au travail et un tiers au capital mais pas pour autant « aux capitalistes » car la moitié représente l’usure des biens de production (l’amortissement en termes de comptabilité nationale) et ceci indépendamment de la nature privée ou publique de la propriété.

Pour le reste, soit de l’ordre du 12ème de la valeur ajoutée, elle rémunère les prêteurs et les actionnaires sous forme de dividende ou d’accumulation dans l’entreprise se traduisant par une valorisation de celle-ci. Ce montant ne va pas pour autant totalement dans la poche de « capitalistes ». Les intérêts sont pour l’essentiel versés à des sociétés financières qui les utilisent pour financer leurs propres moyens de production et rémunérer ensuite leurs déposants par des intérêts ou des services, et ces déposants sont pour l’essentiel des ménages.

Restent les dividendes et le profit accumulé qui vont aux actionnaires : une part très importante de ceux-ci va également aux ménages et ne représente, malheureusement pour eux, qu’une rémunération nette d’impôt modeste.

Peut-on dire pour autant qu’il n’y a plus de capitaliste ?

Dans les sens du langage courant qui fait de « capitaliste » un synonyme de « très riche », évidemment pas, au contraire. Les inégalités ne cessent de progresser au profit de la pointe de la pyramide.

Au sens économique, la détention de capital assure de moins en moins le pouvoir d’accaparer une part substantielle de la valeur ajoutée. L’essentiel du patrimoine financier du pays – de l’ordre de 5 000 milliards d’euros – appartient aux ménages et est désormais intermédié ; le pouvoir appartient en fait à ceux qui le représentent.

A l’inverse, l’appropriation d’une part élevée de la valeur ajoutée par un petit nombre repose sur leur capacité d’entreprendre ou de gérer (stocks options des dirigeants, fees des financiers, succès des start up, etc…), la détention et l’exploitation d’informations (créateurs de sites, détenteurs de brevets ou de marques, etc…) et la rente tirée de l’exploitation de ressources non renouvelables.

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