S'inscrire à notre newsletter

La retraite en perspective

Publié en avril 2023
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

La réforme des retraites voulue par le gouvernement se heurte à un refus assez général de la société française. Elle est techniquement nécessaire, mais, sans ignorer cette nécessité technique, ne devrait-on pas prendre en compte toutes les évolutions possibles de la société et de son environnement dans les 50 années à venir ?

Certes on ne peut faire que des hypothèses, mais c’est une erreur constante, lorsqu’on ne connaît qu’une partie d’un phénomène, de considérer que ce qu’on connaît moins bien peut être ignoré.

En l’occurrence, à l’horizon des retraites, la seule certitude est que tout sera différent. Cela devrait conduire à imaginer des mécanismes d’adaptation plutôt qu’à fixer la valeur des paramètres.

La problématique de retraite a toujours été abordée sous l’angle financier. Dans la réalité et de manière croissante, les ménages ne gèrent pas seulement un budget financier, mais également un budget temps et sont en permanence conduits à des arbitrages entre les deux, le budget temps étant le plus contraignant. L’évolution des conditions d’existence au XXème siècle a beaucoup affecté ce dernier, non seulement par la réduction des temps de travail, mais aussi par la mise à disposition des consommateurs de produits et services ayant l’économie de temps pour conséquence : la généralisation de l’eau courante, des systèmes de chauffage ne requérant pas de travail, l’équipement électroménager, la voiture, une offre de produits alimentaires prêts à consommer et des produits textiles non réparables, etc.…

Depuis quelques décennies, l’évolution s’est inversée. Le travail salarié des deux conjoints et l’allongement de la scolarité ont réduit le temps disponible des ménages, la décohabitation, le développement du nombre de personnes vivant isolées et des familles monoparentales ont eu le même effet pour les personnes concernées. Les nouvelles consommations prennent du temps : télévision, streaming, téléphone, vidéos, réseaux sociaux, préoccupations de santé, sécurité, bricolage… Les temps de trajet pour se rendre au travail se sont accrus avec le développement des banlieues et la fréquence des changements d’emploi par rapport à la stabilité du lieu d’habitation.

Dans cette évolution négative, le télétravail représente la seule bonne nouvelle. Il ne concerne toutefois que les cadres et les employés et pas la masse des ouvriers, ni les petits jobs.

Le poids des retraites dans le PIB atteint 15,9 % (chiffres Eurostat pour 2020). Au même moment, les dépenses de santé représentent, selon la DREES, 12,4 %, dont la moitié pour les plus de 60 ans. Les deux sont donc très liés. Les dépenses de santé ont vocation à progresser, surtout la partie consacrée aux personnes âgées, en raison de l’allongement de l’espérance de vie, du développement des maladies chroniques, des évolutions défavorables de l’environnement (pollution, élévation des températures, addictions, maladies mentales…) et des attentes croissantes de nos concitoyens.

La population sera différente : après le papy-boom, la population va probablement cesser de progresser et même baisser en raison de la faiblesse du taux de fécondité, d’autant que les tendances sociétales à l’origine de cette évolution n’ont, pour l’instant, pas de raison de s’arrêter. La population globale dépendra in fine de l’immigration. Cette dernière devrait se renforcer, non seulement en raison des fortes pressions démographiques en Afrique et en Asie du Sud-Est, mais aussi du fait de la demande des populations locales qui ne pourront être satisfaites avec la seule population active nationale. Ce sera un élément clé de l’équilibre actifs/retraités.

La hausse du niveau de vie rend relativement plus pénible les tâches ingrates et chacun tend à en profiter pour tenter de se débarrasser sur d’autres des corvées. À partir d’un moment, les besoins ne peuvent être satisfaits par le personnel résiduel.

Heureusement, l’intelligence artificielle va relancer une phase de progression de la productivité. Le progrès de l’intelligence artificielle d’un côté et ceux de la mécanique suscitée par les recherches sur les exosquelettes, permettent d’espérer qu’une partie des tâches difficiles encore confiées aujourd’hui à des humains pourra être prise en charge par des machines.

Les progrès de l’intelligence artificielle et des automates vont aussi conduire à renforcer le transfert au consommateur d’un certain nombre de tâches, orientation qui est confortée par le taux de prélèvements obligatoires. Plus il est élevé, plus l’intervention du consommateur devient avantageuse et se développe.

La hausse des niveaux de vie devrait se poursuivre à un rythme ralenti. Parmi ces conséquences, elle devrait emporter une hausse du taux d’épargne ; comme le patrimoine des Français atteint déjà huit années de revenus, cette hausse devrait se traduire par des taux d’intérêt bas favorisant le remplacement du travail par l’investissement.

Par ailleurs, le problème de la retraite est actuellement posé comme si le travail était un mal à combattre et l’oisiveté la version terrestre du paradis. Le travail peut en effet être un enfer lorsqu’il est forcé comme dans l’esclavage ou imposé par une très forte contrainte économique, mais il peut aussi apporter de multiples satisfactions, contribuer à la bonne santé psychique et à une vie sociale satisfaisante en plus de son apport économique.

La prise en considération de tous ces éléments devrait conduire à une politique visant à la réduction forte des emplois non désirables quand la technique le permet et, lorsque cela n’est pas possible, à une meilleure rémunération et une réduction des temps de travail pour ceux qui les pratiquent. Contrairement à ce que le bon sens suggère les emplois les moins attirants sont aussi les moins rémunérés, ce qui n’incite pas à leur suppression.

Le travail n’est en effet pas seulement une nécessité collective, mais aussi individuelle, car vecteur d’intégration sociale, de satisfaction morale par son utilité, de bien-être économique et de santé psychique. Il faut donc préparer le passage d’activités imposées à des activités acceptées et y inciter par le jeu des rémunérations, cotisations et rentes.

Dans le passé, on a pris en compte le fait qu’un danseur de l’opéra ou un soldat ne pouvait pas exercer longtemps. Plus l’expérience de vie s’allonge, même en bonne santé, plus il y a d’activités qui ne peuvent être exercées du fait de l’âge. C’est un vrai problème qu’on ne peut ni continuer à ignorer ni résoudre comme il a pu l’être pour des activités numériquement marginales.

Cette évolution n’est pas facile, mais elle est nécessaire. On imagine mal le rôle, dans une économie de services, de quelqu’un qui a, toute sa vie, manipulé un marteau-piqueur. Dans un monde marqué par le vieillissement, par l’accroissement du nombre de personnes vivant seules, le besoin de soutien est infini ; des tâches simples que chacun est amené à pratiquer pour lui-même, pour bricoler, faire des courses, garder les personnes et les accompagner vont devenir un métier, et ceci d’autant plus qu’entreprises et administrations transfèrent des tâches à leurs clients ou usagers qu’ils sont fréquemment incapables d’assumer seuls.

La technique le rend possible, les hommes le désirent, l’évolution des besoins vers plus de contacts humains payés pour remplacer les relations humaines de proximité d’hier l’exige.

Les cotisations, très lourdes, qui pèsent sur les salariés et les entreprises, devraient être progressivement allégées avec l’âge (dans des proportions à mettre au point au fur et à mesure des résultats de l’expérience), pour inciter au maintien tardif d’une activité professionnelle totale ou partielle. Après le départ à la retraite, il conviendrait d’éviter toutefois, les dispositions poussant à des retraites précoces pour cumuler ensuite retraite et salaire.

La réforme des retraites, comme la plupart de nos grands projets d’avenir, a pêché en considérant que le monde de demain sera le même qu’aujourd’hui. Ce n’est pas exact. Le futur sera différent, plus plaisant si nous aidons à son accouchement, plus rude dans le cas contraire.

 

0

Vous pourriez aussi être intéressés par

10 2022

La grande démission

Depuis quelques mois un nouveau thème s’est imposé à l’attention du public : le mouvement de désengagement des salariés à l’égard de l’emploi. La démission […]

Lire la suite
06 2022

Réformer la retraite

Depuis le rapport effectué en 1991 à la demande du Premier ministre Michel Rocard, la réforme des retraites s’est inscrite au programme de tous les […]

Lire la suite
La fin du travail ? 04 2022

La fin du travail ?

Le développement du numérique en général, de l’intelligence artificielle en particulier, fait craindre à certains l’avènement d’un chômage généralisé. Beaucoup d’innovations apparues depuis le début […]

Lire la suite
Le blog de Jean-Claude Seys 07 2020

Un nouveau rapport au travail

Le déconfinement a mis en évidence un phénomène que la société sous-estime ou feint d’ignorer : le rejet du travail par une partie de la population. […]

Lire la suite
Le blog de Jean-Claude Seys 06 2020

Le travail de demain

La crise du coronavirus a fortement impacté le travail et le contrat de travail, ce qui devrait, comme le font souvent les crises, renforcer certaines […]

Lire la suite

Suivez-nous sur Twitter

|PRESSE|
✅La #prospective ne s'use que si on ne s'en sert pas.
✅ Dans @LesEchos, l’éditorial de @cyberguerre
✅Les travaux de prospective n'ont jamais été autant disponibles. Mais sans réel impact sur les décisions politiques, regrette Nicolas Arpagian.

Image for twitter card

La prospective ne s'use que si on ne s'en sert pas

Conjoncture, nouvelles menaces, innovations technologiques… les travaux de prospective n'ont jamais été autant disponibl...

www.lesechos.fr

|PUBLICATION|🆕
✅#Lavenirduféminisme ♀️
✅En avant-première de la publication de son prochain ouvrage, @CarolineFourest nous fait l’amitié de répondre à nos questions et dresse, pour l’@InstitutDiderot , un état des lieux du #féminisme contemporain🔽
via

L'avenir du féminisme

Les combats féministes du siècle dernier, foncièrement universalistes et laïques, avaient pour objectif l’émancipatio...

issuu.com

|#Mémoire|
✅ En ce #8mai2023, nous célébrons les 78 ans de la capitulation du régime nazi, le #8mai1945 (le 9 mai en Russie), et nous pensons à toutes celles et ceux qui se sont battus pour la Liberté🇫🇷
✅ Bon #8Mai à tous !

|BLOG|
✅ Le billet d'humeur de Jean-Claude Seys
✅#Diversité & #Démocratie.
✅ Il est de plus en plus difficile, dans notre pays, d’obtenir le consensus d’une majorité de citoyens sur une orientation politique quelle qu’elle soit.
via @InstitutDiderot

Image for twitter card

Diversité et démocratie - Institut Diderot

Il est de plus en plus difficile, dans notre pays, d‘obtenir le consensus d‘une majorité de citoyens ...

www.institutdiderot.fr

|PRESSE|
✅ Quel est le rôle d’un chef d’#entreprise❓
✅ Dans @Challenges, l’éditorial d'#AndréComteSponville.
✅ Ce n’est pas la comptabilité ou l’arithmétique qui fait les bons patrons. La psychologie importe autant ou davantage.
✔️#entreprise
✔️#patronat

|PUBLICATION|🆕
✅Les échecs de la #vulgarisationscientifique🧠
✅La #science en otage de la #postvérité & de la #désinformation⚠️
✅Les exemples ne manquent pas : #nucléaire #climat #vaccin #OGM #5G…
✅Pour @InstitutDiderot, l’analyse de @EtienneKlein.

Petit plaidoyer matutinal pour l’organisation d’assises nationales de la diffusion de la culture scientifique.

Petit plaidoyer matutinal pour l’organisation d’assises nationales de la diffusion de la culture scientifique.

Étienne Klein : "La connaissance est une affaire publique. Mais la vulgarisation ne fonctionne qu'auprès de ceux auprès de qui elle fonctionne, c'est un truisme. Alors, la vulgarisation n'est plus seulement un projet culturel, mais politique." #le7930inter

Charger plus de Tweets