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Technologie et productivité

Publié en septembre 2017
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

 

L’invention des technologies de nature à réduire le besoin de travail humain suscite depuis toujours la peur du chômage. Beaucoup répondent que c’est le sort des innovations technologiques de susciter ce type de crainte mais que le redéploiement des ressources disponibles s’est toujours fait, permettant de retrouver le plein emploi avec l’avantage d’un niveau de vie supérieur.

D’autres pensent que ce phénomène, effectivement constaté, n’est pas une loi et que la possibilité de tout faire faire par des machines constitue une rupture qui pourrait être fatale à l’emploi.

En fait, quand on affirme qu’après une vague d’innovations qui supprime des emplois un redéploiement s’effectue, on constate un phénomène réel, mais on sous-estime deux points :

    • Ce qui parait ex post se dérouler dans un espace-temps limité a pu prendre un temps très long à l’échelle des individus dont certains ne retrouvent jamais de travail.

 

  • En second lieu, retrouver le plein emploi suppose que l’innovation qui favorise la productivité soit aussi à l’origine de nouveaux marchés. Or les innovations n’ont pas toutes, en particulier à un même moment, ce double effet. La vapeur a d’abord agi sur la productivité avant de créer de nouveaux marchés, soit en abaissant le coût de certains produits – par exemple celui du charbon extrait des mines – soit en raison de la création de nouveaux produits, comme les bateaux à vapeur et les chemins de fer.

A l’inverse, l’automobile, dans ses premiers avatars de produits de luxe et de sport a certainement dopé la demande avant d’avoir un effet significatif sur la productivité.

Les technologies numériques ont les deux effets, mais dans la mesure où, en tant qu’outil de production, elles peuvent prendre en charge la production des biens et services dont elles permettent l’invention, leur contribution n’est probablement pas équilibrée. Par contre, les biotechnologies sont à l’origine d’une multitude de produits qui exigent beaucoup de travail alors que leur contribution à la croissance de la productivité ne paraît pas évidente. Or la révolution des technologies du vivant sera probablement aussi importante que celle des TIC.

D’autres révolutions encore sont en marche : les nanotechnologies vont permettre de disposer de matériaux nouveaux dotés de caractéristiques inédites ; certains vont vraisemblablement être des facteurs de productivité en remplaçant des produits traditionnels dont la fabrication ou l’usage utilisent beaucoup de travail, mais c’est plus vraisemblablement à une multitude de produits créateurs d’emplois qu’ils vont permettre de voir le jour.

Enfin, l’innovation qui favorise la productivité ou la création des produits et services n’est pas que technologique ; elle peut être sociale ou culturelle. L’organisation du travail due à Taylor et ses multiples successeurs a conduit à supprimer des emplois, mais le développement du tourisme, innovation sociale majeure, en a créé une multitude. Et les perspectives ouvertes par des mutations sociales ou culturelles sont infinies…

Le solde de tous ces mouvements est difficile à évaluer ; ils vont de surcroit, se déployer en même temps que les statuts juridiques du travail vont se diversifier, s’écartant de l’emploi salarié traditionnel, et que les frontières avec le temps personnel vont perdre de leur netteté.

D’ores et déjà, elles sont moins nettes qu’on ne le pense habituellement : le temps de trajet n’est-il pas un temps de travail sous l’angle des accidents de la route et du temps personnel sous l’angle de la réglementation du temps de travail et de la rémunération ? Les temps d’astreinte ou d’interruption courte -entre les services du déjeuner et du diner dans un restaurant par exemple- ne sont pas du temps de travail, mais pas davantage du temps libre.

La société de consommation caractéristique du 20ème siècle a été fondée sur une dichotomie totale entre production et consommation ; le consommateur consacre toute son énergie au travail, et pourvoit à ses besoins en recourant au marché.

Des facteurs psychologiques, mais également financiers, poussent au renversement de cette perspective ; en effet une heure travaillée, dans un pays à taux de prélèvement élevé correspond à deux heures consacrées à l’auto consommation à productivité équivalente : bricolage et économie collaborative constituent, de ce point de vue, une sorte de retour à l’économie pré industrielle.

Enfin, le débat traditionnel sur la productivité mesure cette dernière par rapport au capital utilisé. Mais il existe d’autres facteurs de production par rapport auxquels il convient de la mesurer : le sol, non sous l’aspect de champs considérés comme le principal facteur de production par les physiocrates, mais des ressources non renouvelables : leur remplacement par des ressources renouvelables est créateur de travail comme le montre la production d’électricité solaire par comparaison à celle d’une centrale thermique.

La seconde est l’information : elle constitue en elle-même un besoin à satisfaire à peu près infini, mais aussi un facteur de production capable de mettre à jour de nouveaux besoins et de nouvelles ressources, donc là aussi du travail.

Au total, le travail n’est pas prêt de disparaître, mais à changer de forme et de statut ; il est donc susceptible de créer un important chômage frictionnel dans les sociétés peu enclines à s’adapter.

 

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