La grande cuisine est devenue un art, les chefs des stars. Leur exposition médiatique est considérable : télévision, presse, livres en font la promotion permanente.
Mais qui satisfait-elle au juste ? Bien évidemment tout l’écosystème qui en vit directement et tous ceux, nombreux, qui bénéficient de leur talent sans en régler eux-mêmes l’addition. Quelques riches étrangers aussi, qui se piquent, sinon de gastronomie, du moins d’être vus dans des endroits réputés et bien fréquentés.
L’intérêt économique de cette activité est indéniable : comme la grande couture, elle fait vivre directement beaucoup de personnes mais bien plus encore indirectement dans la mesure où elle contribue à renforcer l’attractivité touristique de la France : malgré son caractère sympathique, et l’importance qu’elle accorde maintenant à la diététique, c’est-à-dire à la santé, elle semble subir une dérive qu’on peut comparer à celle que stigmatise le bon peuple des gilets jaunes : 95 % de la population n’a pas accès aux grandes tables où l’addition peut friser les 500 € par personne.
Elle suit une tendance à l’abstraction et à la complexité qui ne connaît de limite que l’imagination : la cuisine moléculaire par exemple a ainsi apporté une idée neuve qui mérite d’être conservée comme un acquis définitif à l’art culinaire mais dont l’exploitation outrancière a conduit les promoteurs à l’échec : prétendre flatter les palais et saturer les papilles de 50 parfums différents ne sont pas compatibles. La gastronomie est un art utilitaire : elle doit respecter la réalité des consommateurs, leur appétit – ce que ne faisaient pas au temps de leur gloire les temples de la nouvelle cuisine – leur santé, leur porte-monnaie et plus encore leurs capacités à discerner et apprécier les goûts, sans renoncer tout à fait à élargir leur horizon.
Toutes les manifestations qui permettent de définir la culture d’une communauté humaine ont un tronc commun ; la grande cuisine n’échappe pas à ces traits culturels que sont l’élitisme, l’éclectisme, l’originalité est plus valorisée que la simple qualité des mets et l’ardoise valorisée comme la marque de la qualité des consommateurs.