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Le sens du travail

Publié en novembre 2018
Président de l'Institut Diderot, fondateur, président du groupe d’édition Humensis et président d’honneur du groupe Covéa qui réunit les mutuelles d’assurance MAAF, MMA, GMF et PartnerRe.

La perte de sens du travail est devenue un thème courant des colloques consacrés à la gestion des ressources humaines.

Vrai problème ou mode ?

Pour apprécier sainement le problème, il ne faut pas oublier que le travail n’a jamais eu le plaisir ou le bien-être comme objectif : « tu travailleras à la sueur de ton front » dit le livre de la Genèse ; l’origine latine du mot travail, le tripallium, était un instrument de torture appliqué aux esclaves.

Le sens du travail a été, pendant très longtemps et pour la majorité des êtres humains, de pouvoir subvenir à leurs besoins. En effet, nul n’a vraisemblablement jamais eu le sentiment de se réaliser en cassant des cailloux à longueur de journée, ou en s’enfonçant dans le sol pour arracher la houille à la terre : de même pour une multitude de travaux.

A l’autre extrémité du spectre, des hommes s’acharnent à développer une activité qu’ils exercent avec le sentiment gratifiant de se réaliser, indépendamment de la récompense économique qu’ils peuvent en recevoir, qui peut exister ou non ; artistes, chercheurs humanitaires et de multiples autres activités exercées de manière au moins aussi exigeante qu’un travail, mais choisies et permettant aux intéressés de donner du sens à leur vie.

La grand masse des individus ne travaille que par obligation : certains sont heureux parce qu’au-delà des ressources qu’ils tirent de leur travail, ils y trouvent certaines satisfactions : exercice d’un savoir-faire qui les intéresse, acquisition d’un statut social, reconnaissance, appartenance à une communauté.

D’autres ne ressentent que l’obligation, l’absence de liberté, la fatigue physique ou le stress psychique.

Le curseur entre le groupe de personnes qui ressentent des satisfactions dans leur travail et  les personnes qui ne ressentent que le côté négatif, évolue selon les époques.

Ainsi, la génération active pendant les 30 glorieuses a éprouvé de nombreuses satisfactions factuelles : croissance du niveau de vie, stabilité de l’emploi, etc… et travaillait dans des structures plutôt simples, même lorsqu’elles étaient grandes comme les mines ou les chemins de fer, apportant un service apprécié de la collectivité.

La génération d’après a pu accéder à un niveau de formation plus poussé, condition d’une triple satisfaction : des rémunérations plus importantes, un statut social amélioré et des activités plus gratifiantes parce que plus complexes, assurant une meilleure considération sociale et plus de pouvoir.

Par la suite, l’accès à une formation plus poussée s’est généralisé : entre 1960 et 1990 l’université a ainsi vu ses effectifs d’étudiants multipliés par dix : arrivés au travail, les tâches qu’ils ont  été appelés à prendre en charge ont été de plus en plus spécialisées et étroites.

La concurrence de ces masses a pesé sur leur rémunération, leur statut social a comparativement régressé et leur spécialisation croissante a réduit leur influence à des choses dont l’importance est appréciée par de moins en moins de personnes.

Certaines tâches peuvent rester intéressantes en elles-mêmes : un médecin spécialiste d’un organe dans une clinique peut éprouver autant d’intérêt, voire plus en raison de son efficacité accrue, que le généraliste de la génération antérieure, mais dans l’entreprise, dans la majorité des cas, la spécialisation conduit à des tâches qui ne sont pas nécessairement intéressantes en soi; leur sens par rapport à l’ensemble n’est plus reconnu, leur contribution ignorée du reste de l’entreprise et donc non valorisée.

Le travail redevient corvée, une corvée douce par rapport au travail d’autrefois, le plus souvent dur dans des environnements industriels peu plaisants, mais moins bien supporté qu’autrefois par une population plus éduquée qui a le sentiment d’une évolution sociale négative par rapport à la génération antérieure.

Par ailleurs, le travail précaire, la nécessaire mobilité professionnelle ne permettent plus l’appartenance à une communauté comme il y en a eu dans le passé.

Enfin, la nécessité de travailler n’est plus aussi impérative. Un système d’aides sociales permet de vivre, pour les plus modestes, dont les emplois sont à la fois les plus ingrats et les plus mal rémunérés, de manière voisine de celle que permet le revenu  du travail. Puisque le travail, dans ces cas, apparaît comme une corvée, puisqu’il n’est plus nécessaire à la survie, qu’il n’est plus un facteur d’intégration sociale, pourquoi l’accepter ?

Dans les économies contemporaines, une grande partie de la valeur ajoutée est confisquée par une bureaucratie croissante, non seulement publique, mais privée au niveau des entreprises : cette évolution n’en laisse aux actifs utiles qu’une portion congrue.

Quand le travail n’est plus indispensable à la survie, qu’il n’est pas suffisamment rémunéré, qu’il consiste à faire des choses dont l’utilité n’est pas évidente pour l’intéressé et ignorée de la collectivité, quel sens en effet donner au travail ?

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